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Page:Le poisson d'or.djvu/97

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LE POISSON D’OR

fois, et le plus souvent, ils fixaient dans le vide leurs regards atones. L’impression qu’il faisait était celle d’un homme bien élevé ; je peindrai plus vivement ma pensée en disant qu’il avait l’air d’un vieux noble admirablement conservé.

Buffon ne le connaissait pas quand il écrivit son fameux apophthegme sur le style et sur l’homme ; il est, du reste, acquis que cet illustre auteur ne connaissait pas beaucoup les animaux qu’il a si agréablement décrits. On se serait trompé du tout au tout en jugeant M. Bruant d’après son style, lors même qu’on eût amendé sa coupable orthographe.

Il fit grande impression sur Goton, qui me dit tout bas, en l’introduisant :

— Excusez ! voilà un ci-devant qu’a du foin dans ses bottes !

Il entra d’un pas brusque, mais qui ne sonnait point sur le carreau. Ses mouvements étaient ceux d’un homme de trente ans. Il n’est pas, du reste, hors de propos de faire observer ici qu’il était rompu à tous les exercices du corps, excellent tireur d’armes, chasseur hors ligne ; de rappeler surtout qu’il avait acquis en Bretagne une véritable renommée par son étonnante habileté comme nageur. On racontait qu’il était parti de Port-Louis avec le jusant, qu’il avait fait le tour de Groix et qu’il était revenu avec la marée, ce qui donne pour le moins six lieues de pays.

— Bonjour, mon cher monsieur Corbière, me dit-il très doucement, mais d’un ton de protection que lui permettait, certes, sa position de fortune vis-à-vis d’un pauvre praticien tel que moi. J’ai réfléchi. Vous devez être accablé de travail, avec votre talent, et moi le n’ai rien à faire ; vous ne roulez pas sur l’or, et