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Page:Le poisson d'or.djvu/96

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LE POISSON D’OR

Qui nie les revenants ? Moi, j’ai vu des centaines de fantômes !

Mais, pour arriver tout d’un coup à notre cas spécial, quand il s’agit vraiment d’un criminel, l’effet produit par une lettre semblable est pour la plupart du temps le vertige.

Je reçus poste pour poste une très longue réponse de M. Bruant, dans laquelle il rejetait bien loin l’idée de me venir trouver. Quelle qualité avais-je pour déranger un personnage de la sorte ? Il me faisait le compte de ses revenus ; il plaidait la différence de nos âges ; il me demandait si j’étais fou.

Le soir même il était dans mon cabinet, arrivant ainsi deux heures après sa lettre.

Je ne vous ai donné jusqu’à présent, mesdames, aucune idée de la personne physique de M. Bruant, parce que je désirais vous mettre dans la position où je fus moi-même la première fois qu’il se présenta devant mes yeux. Je m’étais fait un Bruant d’imagination, un Judas de fantaisie, selon la coutume ; son aspect m’étonna ; je m’attendais à toute autre chose.

M. Bruant était un homme de haute taille qui gardait la tournure de la jeunesse, bien qu’il fût près d’atteindre les plus extrêmes limites de l’âge mûr : il louvoyait, en effet, selon le dire de patron Seveno, entre cinquante-cinq et soixante ans. Ses cheveux nuancés de gris, mais gardant des reflets blonds dans leur masse étaient disposés avec soin ; il ne portait pas de barbe ; ses traits étaient aquilins fortement, son front un peu fuyant avait de la hauteur ; ses yeux d’un gris très clair et presque perlé, tachaient leur prunelle de rouge comme s’il& eussent été de jaspe ; ils brillaient subitement parfois comme des yeux de chat sauvage ; d’autres