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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/117

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Les Ruines de Buoux

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Je ne comprends pas. Et ce qui me bouleverse, c’est que je ne comprendrai jamais : c’est qu’il est impossible que je comprenne jamais.

Mon plaisir, chaque année, en revenant du Midi, est de visiter quelqu’une de ces vieilles villes de Provence qui sèchent à la pointe d’un rocher comme un petit tas de boue durcie par le soleil. Il y en a d’incomparables, de fantastiques. Toutes m’amusent et m’émeuvent par ce qu’elles gardent, entre leurs murs, de passé accumulé et mystérieux.

Ce printemps-ci, ce sont des ruines qui m’attirèrent, les ruines du fort de Buoux. Je note même que je parlai incidemment de ce projet à divers amis, et qu’une lettre où j’en précisais par avance le détail fut égarée. Mais peut-on trouver là une explication satisfaisante de ce qui m’est advenu ? Non, mille fois non !

Le matin je partis d’Apt à bicyclette. On monte longtemps, puis on descend dans une admirable vallée, étroite et convulsée. Au bout d’une heure, j’étais au pied du fort de Buoux.

Tout de suite — fut-ce la beauté du spectacle, ou une disposition particulière de mon esprit ? — tout de suite je fus pris de cette sorte d’exaltation délicieuse qui agit sur notre cerveau comme les fumées de l’ivresse, le disposant aux rêves les plus chimériques et les plus irréalisables.

Le sentier escalade la montagne entre deux haies de buis, hautes comme des murailles. D’innombrables pervenches le fleurissaient. Et il me semblait en le suivant que j’allais vers quelque chose, non pas seulement vers la pointe extrême du vieux donjon dont j’apercevais le squelette tout là-haut dans le ciel bleu, mais vers un fait, vers… je ne sais pas… je ne saurais définir…