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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/122

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Un accident de diligence où elle faillit rester la décida subitement. Comme elle n’avait pas trop besoin d’y regarder, elle fit acheter à la ville voisine par un de ses vieux amis, une petite six-chevaux à deux places, de couleur discrète et munie d’un dais. Elle en fut ravie. Mais ce n’était pas suffisant : il fallait un mécanicien. On écrivit à Paris pour demander un garçon de seize à dix-sept ans, capable et de bonne conduite. Huit jours après, dans une lettre fort bien tournée, Paul Varin annonçait son arrivée pour le lendemain.

Il arriva à l’heure dite. La bonne l’introduisit auprès de sa maîtresse. Mademoiselle, qui était penchée sur son métier à tapisserie, leva la tête. Elle demeura bouche bée. Une vive rougeur colora l’ivoire jauni de sa peau ; Paul Varin était un homme de vingt-huit à trente ans, grand, solide, aux cheveux noirs, aux yeux doux et francs, bien pris en ses vêtements d’ouvrier, superbe.

Durant les premiers temps le nouveau venu dut être assez étonné du genre de service que comportait la place qu’il avait acceptée à défaut d’autre occupation : il ne fut même pas question de l’automobile. De sa propre initiative, il l’essaya, la nettoya soigneusement, puis la remisa et attendit les ordres.

Des ordres ? Comment la pauvre demoiselle eût-elle osé en donner à cet inconnu merveilleux, si étrangement entré dans sa vie ? Elle en attendait de lui bien plutôt ! Installé dans la voiture, la main sur le volant, il eût fait retentir la trompe que peut-être elle eût eu le courage de descendre et de s’asseoir à ses côtés. Mais de commander, elle ?

Et les jours passèrent. Elle le voyait à peine. Il mangeait à part et couchait tout au bout de la maison. C’était bien assez déjà qu’un jeune homme vécût sous son toit. Qu’en devait-on dire à Thibermont ? Cela l’occupait beaucoup et n’était point de nature à hâler sa première sortie. Était-il admissible qu’on vit ainsi Mlle de Robec, personne respectable, présidente de plusieurs œuvres charitables, s’en aller avec un étranger courir les routes, rentrer à des heures indues ? Non. Il y a des choses…