Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais plus encore que le souci de l’opinion, une invincible timidité la retenait. L’idée de se trouver seule avec Paul dans espace restreint d’une petite voiture, en pleine campagne, lui semblait terrifiante. Il fallait s’y résoudre, pourtant, ou le congédier. Cruelle alternative. Ne plus voir Paul ! Ne plus entendre résonner sur le pavé de la cour son pas martial | Ne plus jamais soulever le rideau de la fenêtre pour regarder, à travers la place, s’éloigner cette charmante silhouette ! Cela ne se pouvait pas davantage. Alors, que faire ? Les fermages ne rentraient pas cependant. Tout allait à la dérive au domaine de Brumesnil. Vraiment, Mademoiselle n’était pas heureuse.

Et un jour il se passa ceci de bizarre : une trompe retentit dans la cour de Mlle de Robec. Elle entr’ouvrit sa croisée. Paul était là, une main sur le volant. L’appelait-il réellement ? Ou bien, lassé d’attendre, avait-il décidé de faire, de son côté, une promenade ? Elle ne se le demanda point. Coiffée et vêtue en un tour de main, elle descendit en hâte, franchit la cour, et vint s’asseoir auprès de Paul, si essoufflée qu’elle ne put prononcer un seul mot.

Ils partirent.

Ah ! cette première journée ! Allégresse divine ! Jeunesse ressuscitée ! Exaltation de tout l’être ! Mademoiselle retrouvait ses émotions de la vingtième année. Cela lui arrivait du dehors en ondes fraiches, en parfums, en couleurs, en harmonies exquises. Cela montait du fond de son âme en rêves inexprimés et en vagues espoirs. Elle était là, près de lui ! Depuis combien d’années attendait-elle cette minute bénie ?

Elle l’observait timidement. Comme il était adroit et fort ! Quelle énergie en son immobilité sereine ! Un geste, de temps