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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/179

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Dix Centimes, Deux Sous

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Je ne sais trop à quel sentiment j’obéis en arrêtant ma voiturette au milieu de cette côte. Était-ce de la pitié pour ce vieux chemineau qui peinait sous l’horrible soleil, ou le vague besoin d’accomplir un acte qui me parût original et me donnât bonne opinion de moi-même ?

— Eh ! l’ami, où va-t-on de ce pas ?

— À Villedieu.

— Fichtre ! encore vingt kilomètres, par cette chaleur de fournaise ! Et après ?

—Demain, ça sera… Saint-Hilaire.

— Saint-Hilaire ! J’y vais justement. Montez donc près de moi. Vous gagnerez toujours une quinzaine de lieues, ce qui n’est pas à dédaigner.

Il me regarda avec étonnement, puis regarda ses haillons sordides et poussiéreux, les morceaux de cuir et les linges qui enveloppaient ses pieds. Le pauvre homme ! Quelle misère et quelle saleté !

— Allons, lui dis-je, posez votre paquet là, derrière, et venez.

— Ma foi, répondit-il, vous êtes bien bon.

Et il monta et s’assit. Nous partîmes.

La côte finie, on descendit vers une vallée profonde. Il y avait un peu de brise, et assez fraîche. Mon compagnon me dit :

— Il ne fait pas très chaud.

Je ne pouvais me dispenser de lui offrir un vêtement. N’ayant que ma peau de bique, je la proposai. Il l’accepta sans façon.

Je souris en le voyant accoutré de la sorte. Il avait l’air d’un monsieur très important, sa barbe blanche mêlée à la fourrure du col, raide, un peu guindé, et si comique avec les copeaux de feutre cousus qui lui servaient de couvre-chef, avec les loques qui pendaient le long de ses jambes, et les linges ficelés autour de ses pieds.