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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/180

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J’eus envie de m’écrier :

— Eh bien, mon gaillard, tu en as de la veine ! Une promenade en auto !

J’étais très content de mai. Ma bonté me paraissait extrême. Quelle obligeance ! Tout de suite je le questionnai sur sa vie, espérant bien que j’avais rendu service à quelque ancien bachelier tombé dans la misère. Malheureusement il n’en était rien, et je constatai très vite que-mon compagnon n’était et m’avait jamais dû être que la plus lamentable des brutes. Nul éclair, aucune idée, Il semblait ne pas avoir vécu, ne pas vivre même. Des noms de villages, des souvenirs confus de bonne aubaine, de festin mémorable, ou de famine, ou d’hiver plus rude, voilà tout ce que j’en pus tirer.

— Au moins, pensai-je, il aura le souvenir d’une belle journée.

Et je lui dis :

— Hein, ce n’est pas la même chose ?… Ça va vite, c’est agréable, on respire à son aise…

De ce côté également mes efforts : échouèrent. On aurait cru que rien ne le frappait, qu’il ne voyait ni n’entendait. Je ne surpris point en lui le moindre étonnement, la moindre curiosité,

À Villedieu il me demanda :

— On ne s’arrête pas ?

— À quoi bon s’arrêter ? La machine n’est jamais lasse.

Et l’on continua,

J’avais renoncé à le faire parler. La longue étape de Saint-Hilaire s’accomplit dans le silence. Silence un peu gêné de ma part ; le rôle que je jouais commençait à m’apparaître — je me demande pourquoi — sous un aspect moins séduisant. Ne pouvant croire à la complète Stupidité du bonhomme, je m’imaginais qu’au-fond ce voyage n’était point pour lui sans quelque amertume. Sa sensibilité confuse devait s’émouvoir. Il devait