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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/188

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Ah ! la bonne bêle, courageuse, ardente, insatiable ! Il lui en fallait encore, et toujours. Plutôt que d’huile ou d’essence, on eût dit qu’elle se nourrissait d’espace. Encore et toujours ! Nous étions fous tous deux, ivres de vitesse, déchaînés comme des éléments. Encore et toujours !

Cependant, au croisement de la route qui conduit à Veulette, nous ralentîmes. Le phénomène s’accentua. Il était clair que nous n’allions plus que par suite de notre élan. Et, de fait, quelques secondes après, nous expirions, elle et moi, au bord de la route nationale no 25.

Je n’eus pas la moindre bouffée d’amertume. Les chauffeurs les plus habiles subissent l’épreuve de la panne. Par conséquent…

Quant à chercher la cause de celle dont j’étais victime, je n’en eus même point l’idée. La prétention eût été par trop outrecuidante. C’est là une de ces besognes formidables où seuls peuvent s’y reconnaître certains élus de la Providence. Ils sont marqués du signe merveilleux de ceux qui voient dans les ténèbres du moteur, créatures privilégiées, sortes de demi-dieux pour qui le mélange des gaz, le différentiel, le trembleur ne sont pas des énigmes insolubles, des expressions vides de sens. Et puis…

Et puis, n’en doutez pas, il y a des mots à prononcer, des formules magiques, des gestes d’incantation ; Sans quoi on ne ne fera jamais croire qu’une voiture en panne puisse se remettre en marche comme si de rien n’était. Je n’admets le miracle nulle part, mais ici le miracle est certain.