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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/208

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Ah ! ce Lubérac ! Un élan de haine le souleva contre cet homme. Il ne l’avait jamais aimé d’ailleurs, jaloux au fond de ses succès de mondain, presque toujours dominé par lui, au Tir aux Pigeons, à la salle d’armes, chez Gastinne-Renette. Mais maintenant !… Ah ! s’il pouvait le rejoindre, le prendre à la gorge et le terrasser ! Avec quelle joie il lui montrerait la supériorité de ses muscles et de sa force d’athlète !

Il se sentait vraiment des idées de meurtre. Tuer lui apparaissait comme une nécessité inéluctable. Tous ses instincts lui ordonnaient de tuer. Il les tuerait tous deux. Cette femme ne serait plus qu’un souvenir dans sa vie, un souvenir de vengeance et de haine satisfaite.

Mais parviendrait-il à les rejoindre ? L’intervalle avait encore augmenté pendant le temps qu’il lui avait fallu pour entrer en pleine action.

— Quelle distance entre cette voiture et nous ? demanda-t-il à son mécanicien.

— Quinze cents mètres, peut-être.

— Quelle marque ?

— Monsieur sait bien, c’est la nouvelle voiture de M. Lubérac.

Ainsi, cet homme avait vu, lui aussi. EL il savait sans doute la chose. Mais qui ne la savait pas parmi les gens de l’office ? Ses doigts se crispèrent au volant. Il répéta :

— Quelle marque ?

— Une Mortier, 24-chevaux.

Comment ne s’était-il pas rappelé ? Quinze jours auparavant, ils avaient eu une discussion assez vive sur les mérites respectifs de leurs voitures. Lui, Védreuil, vantait sa 24-chevaux Rollebois. ricanait, orgueilleux de sa Mortier.

Mais, d’ailleurs, l’année précédente, sur la route de Trouville, tous deux conduisant des 12-chevaux de ces deux maisons, Lubérac ne l’avait-il point dépassé, et facilement dépassé ? Et n’était-ce pas, en ce sport comme en d’autres, une sorte de rivalité qui s’était établie entre eux, et où Lubérac avait eu, comme en tout, l’avantage ?