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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/209

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Védreuil mâchonna rageusement :

— Nous les tenons, n’est-ce pas ?

L’homme répondit :

— C’est à voir.

Une demi-heure s’écoula. Védreuil se taisait, les yeux fixés sur l’horizon. Visiblement la distance restait la même. Et cependant l’homme affirma :

— On gagne. S’il n’y a pas d’accroc nous les tenons.

— Mille francs pour vous en ce cas, et pas de bêtises, hein ? l’œil aux graisseurs… l’œil partout…

Et ce fut la poursuite éperdue, haletante, tragique. Le hasard de la route suivie n’offrit aux fugitifs aucun embranchement propice, aucun chemin de traverse où ils pussent s’engager à l’insu de Védreuil. Après chaque tournant il les voyait surgir à nouveau, et, chaque fois, il avait la perception très nette qu’il avait encore gagné un peu de terrain.

Un moment même — que s’était-il passé là-bas ? — bondissant à la cime d’une montée, il les aperçut en haut de l’autre montée, et cinq cents mètres au plus les séparaient. Et puis, à son tour, Par la fantaisie déconcertante des forces qui travaillent dans le mystère des machines, il faiblit un instant. Puis il se rattrappa, puis il maintint la distance, puis le diminua, la diminua…

Chasse folle et passionnante ! On aurait dit deux bêtes lancées dans l’espace, deux de ces bêtes ennemies qu’une haine atavique a toujours opposées l’une à l’autre au travers des siècles. Il semblait à Védreuil qu’un fil magique les liait toutes deux, et que ce fil, en se contractant, tendait à se rapprocher, tirant l’une en avant et l’aidant, retenant l’autre en entravant son essor.

Qui, c’était cela, il en avait l’impression physique : la bête fugitive était prise au lasso qu’il tenait à sa main et dont, à intervalles réguliers, il enroulait autour de son bras une nouvelle longueur, patiemment conquise.

— Je les ai, je les ai ! se disait-il avec