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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/211

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Immobile, le regard fixe devant lui, Védreuil la dépassa et rangea également sa voiture sur le côté de la route, cent pas plus loin.

Il descendit, examine complaisamment sa Rollebois, comme un homme de cheval le coursier qui l’a conduit au triomphe, et, sans se hâter, d’un pas ferme, il retourna vers les vaincus,

Ils l’attendaient à quelque distance de leur voiture, Lubérac prêt à soutenir le choc, Suzanne derrière lui, assise sur le talus et courbée.

Lubérac allait parler. D’un geste Védreuil lui imposa silence. Il marcha droit à sa femme et lui dit :

— C’est bien vous, n’est-ce pas ?

Elle releva la tête et montra sa figure décomposée, livide. Il reprit :

— Je tenais à vous voir d’abord… à être bien sûr.

Il fit quelques pas dans un sens, quelques pas dans un autre. Son cœur battait tranquillement, selon son rythme ordinaire. Lui-même était étonné de son calme. Nul instinct de vengeance ne l’agitait.

Se venger, quand on est vainqueur et mille fois vainqueur ! quand on tient son ennemi là, sous ses yeux, humilié et terrassé ! Sauter à la gorge de son rival ? Mais c’était chose faite : il avait bondi sur lui à travers les plaines et les vallées, et l’autre se débattait sous son étreinte. Non, en vérité, sa haine était parfaitement assouvie. Il ne ressentait que de l’orgueil, mais un orgueil formidable, inconnu, un orgueil de conquérant qui galope sur le champ de bataille après la victoire.

Lubérac prononça quelques mots. Il lui coupa la parole. Un duel ! Mais il avait eu lieu, le duel ! il avait eu lieu entre la 24-chevaux Mortier et la 24-chevaux Rollebois. Que voulait-on de plus ? La rencontre n’était-elle pas décisive ?