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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/220

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prendre. Mais l’homme remua près de lui. Il le saisit à la gorge :

— Parle sinon !…

L’homme parla. Caorches apprit ceci : tous les jours, durant sa promenade en automobile, Régine, sans souci d’être vue, en présence des domestiques, ouvrait la porte du château au baron de Gervoise.

— Mais aujourd’hui ! cria Caorches… qu’y a-t-il aujourd’hui ? Tout est prêt… quoi ? La butte d’Escalaire ? Parle… sinon…

— Cent mètres avant, au bord de votre route ordinaire, nous avons scié un arbre, le grand hêtre, vous savez… Quand on vous verra venir de loin, l’arbre s’abattra en travers de la route… Vous ne verrez pas, vous… il y a un tournant… et alors, après le tournant…

Soudain Caorches se leva. Et Régine ? Régine qui, de sa fenêtre, avait assisté à la lutte…

Il se mit à courir éperdument. L’idée que sa femme s’était peut-être enfuie le bouleversait. Elle lui échapperait ! il ne pourrait se venger ! Ah ! cette vengeance qui, tout à coup, lui apparaissait comme la fin du supplice abominable qu’il endurait !

Il avait fait le tour des remparts et approchait de la porte.

— Régine, criait-il, comme si son appel eût dû paralyser les efforts de la malheureuse… Régine… Régine !

Au même moment, elle sortait du château en toute hâte.

Elle revint sur ses pas, épouvantée, Aussitôt il la rejoignit, et sa main pesante s’abattit sur elle.

Il la tenait ! il la tenait ! elle était à lui, sa proie, sa chose ! Qu’allait-il en faire ? Ah ! il regardait autour de lui, d’un air de triomphe, et il la regarda aussi, courbée en deux, à peine vêtue, les cheveux en désordre, et si pâle, si effroyablement pâle !