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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/255

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lendemain je recevais une invitation à dîner pour le soir. Cette villa, ou plutôt ce palais, se trouve un peu en dehors de la ville, sur les premières assises du Mont-Renard. Des portiques à l’italienne l’entourent. Des valets en livrée en gardent le vestibule.

L’un d’eux me conduisit à travers une enfilade de salons jusqu’à une pièce plus petite où se tenaient un certain nombre personnes. À l’annonce de mon nom un monsieur et une dame se levèrent et vinrent vers moi. Le monsieur me dit qu’il avait été très heureux d’apprendre par ma carte que j’étais de passage à Aix et qu’il se faisait honneur d’avoir à sa table un peintre dont il avait entendu parler avec éloge. Puis il me présenta à sa femme, la princesse de Géricourt, qui n’eut pas à mon égard moins de condescendance.

J’étais absolument interloqué. Le prince et la princesse ces gens-là ! Ce petit gros homme commun et suffisant, et cette petite femme vulgaire et prétentieuse ! Mais alors, les autres ?…

Je n’osai rien dire et dus paraître quelque peu stupide. D’ailleurs, quand il fut bien constaté que je n’apportais à la conversation générale — quelle conversation ! — aucun élément d’intérêt, on ne s’occupa plus de moi.

On passa dans la salle à manger. Placé entre deux vieilles dames aimables et bavardes, je ne soufflai mot. J’étais au supplice. Et c’est alors, après le potage, qu’ayant porté mes yeux par hasard du côté du maître de la maison, j’aperçus, planté derrière lui, rigide et austère, impécable dans sa tenue de larbin, mon compagnon de voyage, le charitable et obligeant monsieur qui m’avait recueilli sur la route.

Nos regards se rencontrèrent. Il sourit discrètement. Moi, je me sentis rougir.