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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/279

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M. Gadon s’arrêta net au rond-point des Ternes.

— Non, décidément, mon cher Breviquet, il faut que je parle. Cette idée m’étouffe à la fin. Breviquet, depuis combien de temps nous connaissons-nous et parcourons-nous ensemble la route qui va de nos domiciles respectifs des Ternes au bureau de la rue Lamartine, où nous sommes employés comme copistes ?

— Depuis dix-neuf ans, mon cher Gadon.

— Depuis dix-neuf ans, deux fois par jour. Et de quelle manière, en voiture, en omnibus, ou à pied ?

— À pied, bien entendu.

— Je voulais vous le faire dire. Eh bien, Breviquet, vous n’en avez pas assez ?

Ils se regardèrent en silence, Gadon portait sur des jambes infiniment trop longues un petit buste absolument projeté en arrière, ce qui l’obligeait à ramener de toutes ses forces en avant une tête qui semblait toujours disposée à lui tomber sur les talons.

Breviquet était court, gros, et perdu dans des vêtements si vastes qu’on les eût dit taillés pour quelqu’un de bien plus gros encore que lui.

Il murmura :

— Je ne vous comprends pas.

Le bras de Gadon se détendit vers un bicycliste qui passait :

— Supposez que cet homme soit accompagné d’un ami, que cet instrument soit un tandem au lieu d’une bicyclette, et que ces deux amis ce soit vous, Breviquet, et moi, Gadon. Ne serait-ce pas un mode de locomotion plus agréable que d’arpenter les rues comme nous le faisons ?

— Certes.

— Qui nous en empêche ? Nous avons mis chacun quelques sous de côté. Pour cent cinquante francs on a un excellent tandem d’occasion. Eh ! mon Dieu, payons-nous ce plaisir à la fois commode et hygiénique. Qu’en dites-vous ?