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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/280

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Il prononça encore beaucoup d’autres paroles judicieuses, car il s’était toujours réservé l’emploi de discoureur dans le ménage Gadon-Breviquet, ainsi qu’on les désignait au bureau, tellement était parfaite leur union et indissolubles leurs liens d’amitié.

Breviquet l’écouta sans mot dire. Il réfléchissait, se rendait compte. Allait-il approuver ? Et voilà tout à coup qu’il se laissa choir sur un banc en pleurant.

C’était une nature essentiellement impressionnable, une vraie sensitive, disait son ami. La plus légère émotion, moins que cela, le fait de comprendre, de s’arrêter à une décision, de partager l’avis de quelqu’un, lui arrachait des larmes. Il pleurait comme d’autres rient, parlent, chantent, se mouchent, éternuent.

Dans ces cas-là Gadon n’insistait pas. Il savait Breviquet convaincu.

Mais au déjeuner — ils mangeaient ensemble dans une crémerie-restaurant du faubourg Montmartre — la chose fut reprise, pesée, examinée sous toutes ses faces, puis, en fin de compte, irrévocablement adoptée.

Le dimanche suivant, le ménage Gadon-Breviquet possédait un tandem.

Il leur fallut un mois de leçons matinales le long des fortifications pour acquérir le sens de l’équilibre, un autre mois pour se perfectionner. Mais quelles heures délicieuses ! et comme les journées leur paraissaient brèves après cela ! Leur amitié y gagnait des forces nouvelles.

— Encore un goût de plus qui nous est commun, remarquaient-ils.

Et ils étaient flattés que ce fût un goût de sport, un de ces plaisirs réservés aux jeunes, aux fortunés, et non point à de pauvres diables de copistes.