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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/303

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Au bout de quelques minutes elle tira de sa poche une lettre, une longue lettre de douze pages, qu’elle se mit à lire. De temps à autre un sourire heureux découvrait ses dents blanches. À la fin elle porta les feuilles à sa bouche et les baisa ardemment, passionnément.

Puis elle relut la lettre. Cette fois elle pleura. Puis, l’ayant dissimulée dans son corsage, elle resta longtemps rêveuse.

Elle songeait au passé, à ses espoirs de jeune fille, aux déceptions de son mariage, aux joies aiguës et violentes, si douloureuses aussi, que la vie lui avait offertes depuis quelques mois.

Une cloche sonna midi, tout en bas, à l’église de Brametot.

— Les Langeval tardent bien à venir, se dit-elle.

Leur ami Georges les accompagnait. Elle frémit en pensant à lui. Georges ! ce nom lui caressait les lèvres, l’emplissait de bonheur. Georges ! ce doux enfant qui l’aimait au point de lui écrire chaque jour, et malgré leurs entrevues quotidiennes, de longues lettres d’adoration !

Elle imagina le déjeuner qui allait les réunir tous les cinq en quelque auberge de village. Georges serait là, près d’elle…

Bernard y serait également, soupçonneux et jaloux comme à l’ordinaire…

Un mouvement de révolte la souleva. Elle regarda son mari. Il dormait encore, accoudé au volant, la tête oscillant de droite et de gauche, congestionné, ridicule.

Pour la première fois elle sentit qu’elle le haïssait, mais d’une haine implacable et féroce. Jamais elle n’avait éprouvé ce sentiment. Et voilà soudain qu’elle découvrait en lui le plus cruel et le plus dangereux des ennemis.

Nerveusement elle arracha une tige de genêt qui se balançait près d’elle et en froissa les feuilles et les fleurs.

— Je le déteste ! s’écria-t-elle, je le hais.

Elle se leva et marcha vers la falaise. Mais tout à coup elle s’arrêta, les yeux fixes, le corps secoué de frissons. Ah ! l’abominable, la monstrueuse idée !