Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle fondit en larmes, la tête cachée entre ses mains. Elle ne voulait pas penser à cela, elle ne le voulait pas.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Lentement Louise retourna près de la voiture et, montée sur le marchepied de gauche, elle examina Bernard en silence. Il ronflait maintenant, la bouche mi-ouverte, le visage rouge, le cou trop serré par son col.

Elle murmura :

— Bernard !

Puis, plus fort :

— Bernard !

Il ne se réveilla point.

Elle tressaillit. À son insu elle avait porté la main sur l’interrupteur. Eh bien, quoi ? Qu’est-ce que cela signifiait ? N’était-ce pas simplement un jeu, un passe-temps ? Si elle agissait ainsi, c’était pour voir, tout au plus. Que le contact fût établi, il ne s’ensuivait pas… Elle tourna le bouton. Le contact s’établit.

Aussitôt, rapidement, elle passa devant la voiture. Un coup de manivelle.

À moitié réveillé par les premières explosions, Bernard murmura :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien… dors… je m’amuse… je vérifie la mise en marche.

Il se rendormit. Maintenant elle était à son côté, contre lui. Avec quelle angoisse elle la surveillait, les yeux fixés sur les paupières closes, comme si elle eût cherché à les clore irrémédiablement.

Elle ne pensait plus. Elle ne luttait plus. Elle obéissait. Des forces la contraignaient à certains gestes. Et ces gestes elle les accomplissait automatiquement. De la main gauche, lentement, mais avec une énergie surhumaine, elle pesa sur la pédale de débrayage. De la main droite elle poussa le levier de changement de vitesse.

Seulement alors elle eut conscience de ce qu’elle faisait. Et elle eût bien voulu, oui, vraiment, il lui semblait qu’elle eût voulu empêcher la chose de se produire.