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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/316

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Et voici qu’une après-midi la comtesse Berthe, qui avait laissé son automobile non loin du Tir aux Pigeons, revint une heure après en compagnie d’un jeune homme dont Étienne avait remarqué la présence assidue à l’hôtel de Graneuse depuis quelque temps, le baron d’Astry. Elle paraissait très agitée. Le jeune homme lui dit :

— Ne refusez pas… je serais si content…

Elle murmura :

— Eh bien, soit… mais vous me promettez… Étienne, le tour du Bois, et vous arrêterez à la porte Dauphine.

Il fut rapide, le tour du Bois. Douze minutes après, d’Astry était déposé devant le Pavillon Chinois. Mais comme Étienne avait souffert !

Et comme il souffrit par la suite ! Car chaque jour ce fut à un nouveau rendez-vous qu’il dut conduire sa maîtresse. Les Buttes-Chaumont, le parc Montsouris, le Jardin des Plantes, le Luxembourg… partout il stationna, tandis que la comtesse et le baron se promenaient lentement dans les allées désertes. Versailles, Saint-Germain, Pontoise, l’Isle-Adam, bientôt les environs de Paris n’eurent plus de secrets pour lui. Il en connut toutes les routes. Il en traversa tous les villages.

Martyre affreux ! Calvaire épouvantable ! Les mains crispées au volant, les yeux fixés sur l’horizon, il tâchait d’oublier, de ne pas penser. Vains efforts ! Il les savait là, tous les deux. Protégés par les vitres closes, ils pouvaient parler sans qu’il les entendît. Leurs regards pouvaient se mêler, leurs doigts se frôler, sans qu’il les vît.

Et par les grand’routes ensoleillées, au milieu des forêts charmantes, le long des rivières poétiques, il était maintenant celui qui menait leur bonheur et leur assurait l’isolement favorable. Il les protégeait. Il les guidait.