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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/317

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Nulle colère ne le souleva jamais contre eux. Comment en eût-il voulu à la douce comtesse ? Mais souvent il pleurait, et ses larmes roulaient jusqu’aux boutons d’or de sa livrée. Quelquefois, un tronc d’arbre, l’angle d’un mur, la paroi d’un rocher lui apparaissaient comme des buts impérieux vers lesquels il devait foncer. En l’espace d’une seconde il en accepta l’idée… c’était irrévocable… tout serait fini… Et l’on passait droit, sans que la voiture eût seulement dévié.

Et un jour, brusquement, la glace s’abattit derrière lui.

— Vite, Étienne… le plus vite possible… Nous sommes perdus.

Il resta un moment interdit. Cependant la comtesse et d’Astry s’affolaient, tournés contre la vitre du fond.

— Ah ! le voilà… le voilà… il gagne… sûrement il a vu… il a reconnu…

Alors Étienne comprit. Le comte les poursuivait. Cela ne l’étonna point, son camarade lui ayant fait le matin même plusieurs allusions dont il n’avait pas tout d’abord saisi le sens exact.

— Mille francs pour vous s’il ne nous atteint pas, s’écria le baron.

Étienne freina violemment. La voiture s’arrêta presque.

— Mais vous êtes fou ! hurla d’Astry.

Une voix douce implora :

— Oh ! Étienne, je vous en supplie…

Il fut sur le point de crier :

— Non, non, nous ne bougerons pas.

Et en lui-même il répétait rageusement : « J’arrête… je veux arrêter… je veux que l’autre arrive… les surprenne… »

Mais l’allure avait repris et il l’augmen-