Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/356

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Comment donc ! j’étais enchanté au contraire. Ma voiture n’avait pas de mission plus belle que de porter ce digne vieillard. Je lui offris les joies du cinquante à l’heure. Au retour il daigna me remercier en quelques mots qui me firent rougir d’orgueil.

Le lendemain, l’autre voisin d’Aristide ayant manifesté la même envie flatteuse, j’y souscrivis de tout cœur. C’était un excellent phtisique, d’une pâleur cadavérique et distinguée, que le vent glaça si bien que je dus lui prêter mon pardessus.

Le surlendemain, promenade en automobile avec le sieur Bondin, catarrhe et crachements.

Le jour d’après, promenade avec le sieur Juillet, eczéma et furoncles.

Mais le cinquième jour grande réjouissance : Aristide m’amena deux de ses amis : Louis le néphrétique et Raymond le cardiaque. Dès lors il ne fut plus question que de couples. Deux par deux, tous les habitants du dortoir y passèrent.

Je ne dis point que cet empressement ne me paraissait pas un peu exagéré et que la ballade quotidienne ne se transformait pas en une véritable corvée, chaque fois plus énervante et plus fastidieuse. Mais je suis bon, n’est-ce pas ? Et quand on est bon, il est de ces devoirs auxquels l’on n’a pas le droit de se dérober.

Et comment résister au désir de tous ces braves gens ? C’était une telle fête pour eux | Et un tel bienfait au point de vue hygiénique ! Le directeur ne cessait de m’en remercier.

— C’est la santé qu’ils vous doivent. Et ceux de la salle voisine me durent aussi la santé, et ceux de la salle dite Broca, et de la salle dite Dupuytren. Et les femmes eurent leur tour. Et les petits enfants. Et tous, tous, les estropiés, les cancéreux, les ataxiques, les épileptiques, les avariés, tous, deux par deux, se