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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/357

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prélassèrent dans les fauteuils de ma 14-chevaux. L’avis général fut que ces fauteuils étaient merveilleusement capitonnés.

Et tout l’été je véhiculai l’hôpital à travers les grasses campagnes et les profondes forêts. Au milieu de l’excursion, petite halte à l’auberge. Rafraîchissements.

On est bon ou on ne l’est pas. Quand on est bon, qu’importe de passer aux yeux des gens pour un chauffeur attaché au service d’un hôpital, de perdre tout son temps à conduire des individus mal rasés, en capotes sales, qui sentent mauvais, et de qui l’on peut attraper de dangereuses maladies ?

J’enrageais.

Et j’enrage encore… et combien plus ! Les mois se passent ; nous sommes maintenant en octobre, et je n’ai pas quitté Clairfeuille. Trois fois j’ai donné congé de ma maison, et trois fois des pétitions signées de mes chers amis m’ont été remises par Aristide.

« Vous qui êtes la bonté même, daignez prendre en considération… etc. »

Naturellement j’ai cédé. D’ailleurs, bien qu’on ait certains égards pour moi, on ne laisse pas de me faire entendre, par des insinuations fort précises, que je ne dois pas en prendre trop à mon aise, qu’il est des habitudes de politesse et de courtoisie auxquelles on doit obéir, et que l’exactitude, en particulier, est un des devoirs du parfait chauffeur…

Ce matin, j’ai reçu de mon ami le tuberculeux un petit mot très bien tourné, ma foi. Au nom de ses collègues en tuberculose, il me demande si je n’ai pas l’intention de changer, pour l’hiver, mon tonneau en une limousine, ou mieux, un omnibus confortable (avec bouillottes d’eau chaude). Une bronchite s’attrape facilement, et dame !…

J’ai télégraphié aussitôt au constructeur G… J’aurai une 24-chevaux fermée d’ici trois semaines.

Que voulez-vous ? On est bon ou on ne l’est pas. Moi, je suis bon.

Maurice LEBLANC.