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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/358

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

« Ma Chère Victorine »

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— L’espace, la vitesse, la pureté excessive de l’air, surexcitent à un tel point mes sentiments qu’il me semble que nul être au monde ne peut sentir avec autant de violence que moi. Ainsi, mon amour pour vous, ma chère Victorine…

-Forcez un peu l’allure, mon ami. Il y a derrière nous un homme, à bicyclette, qui a dû nous rattraper vers le milieu de la côte et qui se fait entraîner par votre automobile.

— Il ne tiendra pas. Ma voiture n’a que six chevaux, mais ils en valent bien huit ou dix d’une autre marque.

— Si cet individu nous reconnaissait ?

— Soyez tranquille, ma chère Victorine, vos voiles vous cachent absolument. Quant à moi, qui me connaît dans le pays ? J’ai choisi une maison à trois rues de la vôtre, j’ai refusé d’être présenté à votre mari, et c’est la première fois aujourd’hui que nous risquons cette promenade depuis si longtemps promise.

— J’ai peur.

— Mais il ne faut pas avoir peur. Allons, ma chère Victorine, appuyez votre tête sur mon épaule, bien doucement, pour ne pas déranger la direction. Vous savez que je vous aime éperdument et que mon amour pour vous…

— J’ai de plus en plus peur.

— Mais, sapristi, c’est absurde. Vous n’avez rien à craindre avec moi, ma chère Victorine. Mon amour pour vous…

— Il est toujours là.

— Qui ?

— L’homme. Je n’ose pas me retourner, mais je le pressens.