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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/461

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Le prince étouffa un juron et claqua violemment la portière. Miss Nelly était bien la plus abominable créature que l’on puisse voir, jaune de teint, rouge de cheveux, déjetée et l’aspect si miséreux ! Bref, inacceptable même pour un grand seigneur décidé à vendre son nom.

— En route, répéta l’Anglais, et vite, j’aime quand ça marche.

Ah ! ça marcha ! La côte qui se dresse au sortir de Dieppe, abrupte et droite, fut supprimée, pourrait-on dire, en quelques secondes, et sur le plateau, la soixante chevaux s’emballa comme une bête déchaînée.

— Tu en veux de la vitesse, mon bonhomme. grinçait Dreux-Soubise, eh bien on t’en donnera !

Sa rage contre l’Anglais, contre sa fille, contre Vernou, s’exaspérait dans une course folle. Ah ! comme Vernou l’avait roulé ! La riche héritière, les vingt millions de dot, les quatre cents millions, le mariage passible, certain, tout ce mirage que le gredin avait fait luire à ses yeux ! Comme il avait bien su l’expédier, en trois heures, à deux cents kilomètres de Paris, au-devant d’un client sérieux ! Et comme il devait rire, et comme tout Paris s’esclafferait à la bonne nouvelle : le prince de Dreux-Soubise (sang royal…) avalait cinquante lieues entre son déjeuner et son dîner pour jouer les domestiques auprès de l’adorable mademoiselle Darlington !

— Ah ! non, non, c’est trop bête, j’en ai assez de les voiturer.

Brusquement, il freina.

— Une panne, dit-il, en sautant de son siège, et sans trop savoir encore ce qu’il allait faire.

On se trouvait en plein soleil et en plein désert, à mi-chemin de la route aride et nue qui court des Grandes-Ventes à Forges, dans un pays perdu, sans village, sans habitation !