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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/475

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C’était une limousine. L’avant, clos de glaces et de portières, formait coupé. Les deux hommes étaient assis à l’intérieur. Clotilde conduisait. Et l’on gagna la route, la grand’route nationale, large et déserte, qui s’en va vers le Nord, vers la frontière…

Jamais encore Clotilde n’avait éprouvé avec tant de violence la sensation enivrante de la victoire. Celui qu’elle aimait lui appartenait, ainsi que l’esclave appartient au maître. Elle l’emportait comme un trophée. Et parce que, dans certaines âmes d’orgueil, le besoin d’humilier surexcite l’amour, elle jouissait frénétiquement de voir auprès d’elle, enchaîné, l’adversaire.

On glissait éperdument parmi les plaines et les bois. Quelquefois, la route se cabrait devant l’auto, en côtes rudes. Puis, subitement, elle s’abaissait comme l’échine souple d’une bête, et il semblait alors qu’on descendait au cœur de la terre.

Ils traversèrent un village, puis un autre. Les églises illuminées flambaient par leurs vitraux. Le chant d’un orgue les effleura.

Des minutes s’ajoutèrent aux minutes, et des plateaux aux vallées, et dans sa fièvre de conquérante, elle ne pensait plus à rien qu’à l’espace supprimé, au temps qui fuyait derrière eux. Toute son attention se concentrait sur l’acte unique de conduire et de bien conduire. Elle avait impression que ses bras faisaient partie de la machine plutôt que d’elle-même, et que son cerveau battait au rythme du moteur.

Un pont fut franchi, une forêt fut côtoyée, on entra dans une petite ville entourée de remparts, et comme l’aut-