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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/490

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LA RÉALITÉ TRAGIQUE

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J’ai reçu ces jours-ci d’un « fidèle lecteur de l’Auto » une lettre que je demande la permission de reproduire en partie.

Les lettres que l’on reçoit de la sorte contiennent souvent de précieux renseignements, quelquefois des éloges dont on ne manque pas de s’enorgueillir et que l’on juge tout à fait justifiés, quelquefois aussi des critiques que l’on s’empresse d’attribuer à de parfaits imbéciles.

Il vous arrive même d’être injurié. Je fis jadis un conte où un mari apprenait, après la mort de sa femme, que celle-ci l’avait trompé. L’histoire, racontée par le mari sous forme de confession, se terminait ainsi : « Je courus jusqu’au cimetière et je crachai sur la tombe de la morte… »

Le lendemain je recevais ces mots :

« Monsieur, vous avez craché sur la tombe d’une femme, vous êtes un misérable. Si mon opinion ne vous plaît pas, voici mon nom et mon adresse. »

Non content d’être un misérable, je fus également un lâche et ne relevai point l’insulte. D’ailleurs, ma conscience me donnait tort : n’avais-je pas craché sur la tombe d’une femme ?

Cette fois mon correspondant n’est pas aussi sévère. Il ne me traite pas de misérable. Cependant il trouve que j’abuse un peu du droit discrétionnaire que possède tout écrivain sur la vie de ses personnages.