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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/495

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Marcel Prévost n’est certes pas, à l’heure actuelle, un bourgeois à gros ventre et à dos voûté, et j’affirme que, grâce à l’exercice, il ne nous apparaîtra jamais sous cette vilaine forme. Mais il ne m’en voudra pas, je l’espère, si je révèle aux lecteurs de l’Auto que, il y a quatorze ans, il avait… quatorze ans de moins qu’aujourd’hui, et par conséquent de plus grandes aptitudes à se plier aux lois de l’équilibre, sans quoi je n’eusse point accepté un emploi pour lequel je ne me sens pas de vocation spéciale.

Mais si légitime que fût ma confiance dans l’issue de cette tentative, j’avoue que l’événement me déconcerta. En deux mots voici : le jeune débutant enfourche sa bécane, moi j’empoigne d’une main les ressorts de la selle, de l’autre le guidon. Je donne les conseils d’usage, et en avant. Premiers zigzags, puis marche plus assurée. À hauteur de la Guillette, le chalet de Maupassant, j’abandonne le guidon : l’allure s’accentue, je cours. Un instant après, sans mot dire, je lâche la selle, Prévost ne tombe pas. Je m’arrête, il continue… il va encore… il va toujours… Il a été très loin depuis.

C’est en huit minutes, exactement, je l’atteste, que Marcel Prévost apprit à monter à bicyclette.

Il y avait de quoi m’encourager. Précisément Maurice Donnay habitait le même petit hameau balnéaire que moi, cette adorable valleuse de Vaucottes, si paisible et si fraîche sous ses grands ombrages. Nous nous promenions souvent ensemble. Seulement Donnay est un fervent de la marche, et j’ai la marche en horreur.

— Mon vieux, lui dis-je, j’ai deux bicyclettes, j’en mets une à ta disposition.

— Veine !… Mais qu’est-ce que j’en ferai ?

— Tu monteras dessus.

— Je ne sais pas.

— Tu sauras. En huit minutes, Marcel Prévost a su.

— J’en mettrai sept, s’écria-t-il fièrement.