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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/59

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En cinq minutes, dans un réduit obscur, s’étant débarrassée de ses haillons, de sa perruque et de son garde-vue, la mendiante redevint un gros homme de quarante-cinq à quarante-six ans.

— Deux cents dollars, murmura celui-ci en finissant d’opérer sa transformation… C’est une somme, après tout. Et puis, quoi, c’est un profit sûr et sans risques, tandis que le coup de San Francisco, c’était bien dangereux à essayer… et je ne tiens pas à faire parler de moi depuis l’affaire de la bijouterie. Ils ont eu des soupçons… c’est sûr… Et puis… et puis, quoi cette damnée créature en gris ne l’aurait jamais lâché son bout de corail ! Ah ! la coquine… elle tenait son revolver comme quelqu’un du métier. Mais que diable veut-elle faire du bracelet ? Peut-être bien qu’elle a connu Jim Barden ? Dommage que je n’aie pas pu voir sa figure, acheva-t-il en nouant son tablier de cuir.

Quelques instants plus tard, il entrait dans sa boutique et demandait :

— Il n’est venu personne pendant que j’étais sorti ?

— Personne, m’sieu Sam Smiling, répondit un garnement d’une quinzaine d’années, qui avait été chargé de garder l’établissement, en l’absence du cordonnier.

Celui-ci s’assit et reprit tranquillement ses outils et un vieux soulier, dont la semelle réclamait avec urgence les secours de son art.



X

Soupçons et stratagèmes


En rentrant chez elle par la petite porte dérobée, Florence trouva dans le parc Mary, qui l’attendait, agitée par une inquiétude que chaque seconde accroissait.

La gouvernante, en voyant paraître la jeune fille, jeta un cri de joie.

— Flossie ! ma petite Flossie ! vous voilà enfin ! j’étais folle d’anxiété !…

— Pourquoi ? Je ne courais aucun risque, dit tranquillement Florence. Je vous raconterai plus tard en détail ce que j’ai fait. J’ai essayé de détruire à jamais les vestiges du passé, voyez-vous, Mary, et j’ai réussi… en partie, du moins…

La jeune fille resta un moment silencieuse, puis, avec un rire nerveux qui alarma la gouvernante :

— Je deviens très forte, je vous assure ! Je ne me serais jamais cru capable de faire ce que je fais, et je m’aperçois que, vraiment, je suis née pour l’aventure. Non, ma bonne Mary, je vous en prie, ne prenez pas cet air affolé. C’est fini maintenant, je deviens raisonnable… Rentrons, voulez-vous ?… Mais, attendez, avant de me montrer, je vais ôter ce manteau et ce chapeau.

Mary se chargea des deux objets dont Florence venait de se débarrasser et suivit la jeune fille vers la maison.

En passant par le grand vestibule, Florence vit Mme Travis à demi étendue sur un sofa et qui sommeillait, un livre, ouvert encore, à côté d’elle.

Florence, à pas muets, s’approcha de la dormeuse, elle regarda son visage empreint de calme bonté et que le sommeil apaisait encore. Sur ces traits usés, que la vie avait marqués profondément, la jeune fille, avec