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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/60

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une indicible émotion, voyait tous les stigmates laissés par les griffes impitoyables du temps et de la douleur. Avec respect, avec amour, avec pitié, elle se pencha vers celle dont, la veille encore, elle se croyait la fille, et, sans la réveiller, effleura de ses lèvres le front de Mme Travis.

Puis la jeune fille, suivie de Mary, regagna sa chambre. Elle se préparait à changer de toilette lorsque la vieille gouvernante, qui était debout près de la fenêtre, eut une exclamation d’effroi.

— Florence, voyez, là-bas sur la route, cet homme !

— Eh bien, c’est le docteur Lamar, dit avec le plus grand calme Florence, en regardant dehors à son tour.

— Mais il vient ici ! Pourquoi ? Mon Dieu, mon enfant, rappelez-vous qu’il vous a rencontrée au parc, après la poursuite de l’automobile et au moment même où la femme voilée devoir venait de disparaître. Ne vous soupçonne-t-il pas ?…

— D’être cette femme voilée ? Ma pauvre Mary, quelle imagination ! Comment le docteur Lamar me soupçonnerait-il ? C’est fou… S’il vient ici, c’est parce que je l’en ai prié moi-même, après cette scène à la porte de l’asile, cette scène qui m’apparaît maintenant si affreuse… J’ai insisté hier encore et il m’a promis sa visite. C’est un homme du monde et un savant remarquable, sans parler des qualités de détective, un peu inattendues peut-être chez un médecin, dont il fait preuve. Mais, attendez, je vais prévenir ma mère.

Légère, elle s’élança dans l’escalier.

— Ma chère mère, dit-elle à Mme Travis, qui, depuis quelques instants, s’était réveillée, j’ai vu sur la route le docteur Lamar ; certainement il vient nous rendre visite. Voudrez-vous lui dire que je vais le recevoir dans une minute ? Je remonte m’habiller.

— Vite, Mary, cria-t-elle, lorsqu’elle eut regagné sa chambre, aidez-moi à me faire belle, je veux éblouir le docteur Lamar !

Elle eut bientôt revêtu une robe sombre d’une étoffe souple et brillante, qui tombait en plis harmonieux autour de sa taille élégante ; puis, pour arranger ses beaux cheveux, elle s’assit devant sa coiffeuse.

Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, Yama, le domestique japonais, introduisait Max Lamar auprès de Mme Travis, qui le reçut avec une amabilité marquée et lui annonça qu’il allait, dans quelques moments, voir sa fille.

Quand elle fut coiffée, Florence s’approcha de la glace de sa cheminée pour agrafer à son cou un collier de perles d’une admirable régularité et d’un orient merveilleux, cadeau que Mme Travis lui avait fait peu auparavant.

Tout à coup, elle pâlit un peu ; dans la glace, ses yeux s’étaient fixés sur sa main droite qui, levée vers sa gorge, attachait le fermoir de platine.

— Mary ! appela-t-elle d’une voix changée. Mary ! regardez !…

La gouvernante blêmit à son tour. Sur la main de la jeune fille, le Cercle Rouge venait d’apparaître, serpent de feu immobile, couronne écarlate sur la peau satinée.

Mais à peine une seconde fut-il visible dans tout son éclat sinistre. Déjà, il s’effaçait comme l’ombre d’un mauvais rêve, déjà la main délicate, un instant déshonorée par l’horrible stigmate, avait repris l’uniformité de sa teinte nacrée.

— C’est fini ! C’est fini ! cria Florence, joyeuse comme une enfant. Voyez, Mary ! Plus rien n’apparaît ! Je suis délivrée ! Je descends maintenant. Le temps de prendre pour mon corsage une de ces belles fleurs dont vous avez empli ma chambre, et je rejoins le docteur Lamar, pour lui demander des nouvelles de l’enquête qu’il poursuit avec tant de zèle.

— Prenez garde, Florence (Mary, elle, ne riait pas), prenez bien garde. Cet homme