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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/63

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autoritaires s’y faisaient jour, malgré sa courtoisie. Florence, désemparée, cherchait éperdument une réponse tout en gardant sur ses lèvres, nerveusement serrées, un sourire qui était légèrement forcé.

Le silence, entre eux devenait tragique.

Derrière la draperie où elle était dissimulée, Mary, la gouvernante, avait suivi la scène et, épouvantée, dans son impuissance à porter secours à la jeune fille, elle s’affolait.

— Ce papier ? dit enfin lentement la jeune fille, que Max Lamar regardait toujours en face, ce papier, comment je l’ai entre les mains ? Mon Dieu, c’est fort simple. Hier, dans le parc, alors que cette femme voilée dont nous parlions tout à l’heure, eut passé près de moi rapidement, elle laissa tomber à terre quelque chose que j’ai pris d’abord pour une lettre froissée. Je l’ai ramassée presque machinalement, je ne l’ai même pas lue et, en rentrant chez moi, je l’ai jetée, sans y attacher d’autre importance, dans la potiche qui était sur la cheminée de ma chambre et que j’ai cassée tout à l’heure.

L’explication, si embarrassée et si faible qu’elle fût, était, à la rigueur, plausible, et Lamar parut l’accepter comme telle.

— Cette mystérieuse femme voilée se serait donc débarrassée de ce document compromettant au moment où, poursuivie par nous, elle se serait crue sur le point d’être prise, dit-il à mi-voix et comme à lui-même.

— Sans doute, dit Florence.

— Mademoiselle Travis, poursuivit tout haut Max Lamar, j’attache une grande importance à connaître l’endroit précis où vous vous êtes croisée avec cette inconnue. Puis-je vous demander d’être assez bonne pour m’accompagner jusqu’au parc, afin de me l’indiquer ?

— Très volontiers, répondit Florence aussitôt. Je vous demandais tout à l’heure des détails sur vos enquêtes, je suis enchantée de participer à l’une d’elles. Voulez-vous m’attendre un instant ? je vais mettre mon chapeau.

Elle monta en courant dans sa chambre.

Lamar, préoccupé, tenant toujours à la main le document accusateur, s’approcha de la fenêtre, et, machinalement, regarda dans le jardin. Mary, silencieuse comme une ombre, sortit de sa cachette et, gravissant l’escalier, rejoignit dans sa chambre Florence qui, devant la glace, se coiffait d’un charmant petit chapeau de velours noir.

— Ne sortez pas ! Florence, je vous en supplie, ne sortez pas avec cet homme ! s’écria la pauvre femme, qui se précipita, le visage bouleversé, vers la jeune fille.

— Chut, Mary… prenez garde qu’il ne vous entende, souffla Florence.

— Ne sortez pas ! répéta plus bas la gouvernante terrifiée. Il vous soupçonne. Si vous sortez, il vous interrogera plus librement. Il vous tendra des pièges ! il vous obligera à avouer ! vous serez perdue !

— Et je serai perdue bien davantage si je reste, dit Florence d’un ton déterminé, car alors c’est l’aveu implicite, l’aveu détourné et lâche. Non, je vais l’accompagner et nous verrons bien qui de nous deux l’emportera !… termina-t-elle, d’un ton de défi.

— Et cela, mon enfant, voyez cela, murmura avec horreur Mary, en désignant la main de la jeune fille.

Florence n’abaissa même pas les yeux sur sa main. Elle savait trop ce qu’elle y verrait. Elle savait trop que le Cercle Rouge y étalait son anneau de sang. Elle eut un mouvement d’épaules où il y avait comme l’acceptation d’une fatalité inexorable. Sans mot dire, elle se ganta et sortit.

— Elle est perdue ! Elle est perdue ! se dit, avec une inexprimable angoisse, la gouvernante, lorsqu’elle se trouva seule