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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/157

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semble que tu professes une grande hérésie à l’endroit de la logique. Je te ferai observer que si tu admets, d’une part, que l’intelligence, dont le cœur n’est qu’une manifestation, peut quelquefois n’en point user, il est rigoureux que tu ne puisses nier que cette manifestation entraîne la preuve du principe sans lequel elle n’existerait point. Tu dis savoir de bonne part qu’il y a des êtres dont l’intelligence est presque nulle et dont le cœur est pourtant noble et grand ; mais tu ruines toi-même cette assertion, en admettant une première proposition contradictoire. Pour moi, je n’ai jamais rencontré de nobles cœurs que par suite de nobles intelligences dont, il est vrai, ces cœurs ne se rendaient souvent pas compte[1].

*

Ces introspections ne pouvaient suffire à distraire l’ennui, à fixer l’activité d’un jeune homme de tempérament ardent. Les longues promenades aux sites farouches — Bernica et Ravine Saint-Gilles — où n’arrivait pas un bruit de la mer sur les récifs, ne faisait qu’approfondir encore sa solitude du mutisme écrasant d’une nature solennelle dans des décors sauvages et parfois tragiques. Le jour même y est sombre et profond comme la nuit ; les rumeurs des ravines s’endorment dans l’air immobile, s’enfoncent dans le silence pullulant comme dans des souterrains ; rien ne distrait du sommeil morne où il vacille un esprit mélancolique que la chute d’un roc miné qui soudain se précipite des falaises riveraines, sans même éveiller un écho. On oublie la vie colo-

  1. Souligné par L. de L.