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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/158

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LECONTE DE LISLE

niale qui s’active sur la côte par le labeur des nègres ; le cœur est morne, « muet comme un astre absorbé par son Dieu » ; et l’on se laisserait tomber à un suicide sans écho si le cœur généreux, si un instinct frémissant, si l’impulsivité vers l’avenir ne se réservaient — par la force d’un tempérament combatif, par l’élan d’un sang impétueux, d’une race encore neuve — dans cette langueur passagère d’une jeunesse consomptive.

Leconte de Lisle sentait que la solitude à laquelle il se voyait condamné était dangereuse.


Hélas ! mon vieux camarade, il ne faut pas s’accoutumer à vivre seul, car le contraire se réapprend facilement. Ne crois pas cependant que cela tue le cœur, parce que cela l’élargit. L’individu en souffre, l’homme s’en irrite, mais, qui sait si Dieu n’y gagne pas ? Quant à nous, mon cher A…, vois un peu ! Nous nous sommes séparés durant de longues années — nous avons aimé d’autres hommes, et ils nous ont aimés ; notre cœur a ressenti d’autres besoins que ceux auxquels satisfaisait notre première affection. Nous avons été heureux, nous avons souffert et nous nous sommes à demi retrouvés. D’où vient-il donc que nous devions nier l’amitié qu’il ne nous a pas été donné de poursuivre aussi naïve qu’autrefois ? La faute n’en est ni à moi, ni à toi. Tu t’es marié, tuasvécu d’une vie inflexible dansses limites. Je me suis aventuré aussi dans une route divergente et j’ai cherché ma plus grande somme de bonheur dans la contemplation interne et externe du beau infini, de l’âme universelle du monde, de Dieu dont nous sommes une des manifestations éternelles. Il ne faut pas douter, mon ami. Il faut laisser aux niais et aux