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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/159

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lâches leurs stupides négations du cœur[1] immortel et l’intelligence divine de l’homme ; car c’est là de la misère morale, mille fois plus affreuse que la misère matérielle, puisque c’est une dégradation de Dieu en nous. Tu as souffert mon vieil ami, mais l’épuration est dans la douleur. Tu as aimé saintement, maisl’amour illumine à jamais notre cœur[2]. Et tu te dis glacé, désespéré, sans désirs et sans passions ! tu te mens à toi-même. L’homme qui a souffert et qui a aimé, quelle que soit sa grandeur, quelle que soit son humilité, s’il a souffert, s’il a aimé saintement, cet homme ne s’éteindra jamais, pas même sous l’haleine de ce qu’on nomme la mort et qui n’est que le réveil.


La vie sentimentale de Leconte de Lisle était très intense. La solitude lui donnait presque de l’exaspération. Dans des lettres fréquentes à Adamolle, il exprime la tristesse de son existence isolée, angoisse de son âme livrée aux plus creuses et désolantes méditations, à l’amère, impérieuse passion d’analyse intérieure. Il détermine exactement ses tendances, dégage et précise ses conceptions de la vie et de l’humanité[3]. Il n’aime point la société parce

  1. Il ne dit pas : de l’âme.
  2. Il devait écrire plus tard :

    « Aimer ? La coupe d’or ne contient que du fiel ! »
    mais aussi Le parfum impérissable, Le Dernier Dieu et tant d’autres.

  3. « J’ai vécu seul à Bourbon avec mes livres, mon cœur et ma tête ; ce sont, après tout, de meilleurs compagnons que la grande majorité de mes contemporains, avec leur indifférence coupable ou les négations blasphématoires de la vérité, lorsqu’elle heurte trop rudement leurs mauvaises passions subversives de l’ordre éternel qui n’est pas celui que proclament les conservateurs enragés de l’époque, tant s’en faut ! L’oncle que la nature m’a donné — j’en veux à la nature — en est un juge ! » écrivait-il déjà quelques mois auparavant (dans une lettre publiée par le Figaro, 27 juillet 1895).