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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/208

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dont elle promulgue les oracles et les cultes passés ont vu leur gloire pâlir devant cette gloire d’hier. L’argent a détrôné les dieux anciens[1].

Heureux les prêtres de l’argent, les autocrates du monde civilisé !

Ils disent que la vie des peuples vient d’eux ; mais nous savons qu’elle retourne à eux et qu’ils l’abordent. Nous les avons vu glaner sur les champs de bataille et s’engraisser du sang et de la chair des nations expirantes ; nous les verrons bientôt entrevendre et s’entr’acheter les hommes comme un bétail, car pourquoi leur puissance s’arrêterait-elle dans ses envahissements ? Qui opposera une digue à cette mer, puisque tous tendent aveuglément, par incurie, par lâcheté, par faiblesse, à élargir ce lit démesuré qui bientôt n’aura pour limites que celles du globe ?

… La misère et la faim ont conquis le monde, le monde des déshérités, des enfants perdus de l’humanité et c’est la foule immense, c’est l’éternel troupeau des faibles…

Mais, nous dit-on, la pitié, la commisération du riche sans cesse en aide à la misère et à la faim ; la charité guérira ces plaies. Hélas ! quel palliatif a jamais rien guéri ? Nous vous le disons en vérité : l’indigence est comme l’urne sans fond des filles de Danaüs ; un océan d’aumônes y passerait sans y laisser une goûte. Rien, rien ne comblera jamais cet abîme, si ce n’est la justice distributive.

L’aumône, comme moyen suprême, est un crime en principe, car elle ne fait que constater l’éternelle souffrance du pauvre, car elle sanctionne le règne de l’oppression, car elle perpétue la misère et la faim.

La justice, la justice ! tout est là ! hors d’elle il n’y a rien.

  1. Cf. Aux modernes.