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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/22

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LECONTE DE LISLE

reproches, le père affirme qu’il n’est pas responsable des idées républicaines de son fils et qu’il ne lui a pas plus donné des idées « de cette espèce que les professeurs de l’École polytechnique et de tous les collèges royaux de France n’en ont inculqué de semblables à tous les jeunes gens » et où il avoue qu’il serait impardonnable à son âge de défendre les exagérations de son fils[1] . Voilà sans doute qui ne prouve guère qu’un peu d’opportunisme avisé ; l’impression se dégage même assez nette de la lecture des lettres publiées par M. Tiercelin. Le père fut aussi en son temps républicain : « exagérations » de jeunesse dont ensuite put sourire une maturité avantageusement fortunée, un esprit épaissi par la vie plantureuse des propriétaires créoles.

Une influence, bien plus décisive, s’accuse : à cette époque sévit l’esclavage : déjà en 1770 on recensait à Bourbon 60 000 noirs pour 5 000 habitants. Le nombre des esclaves croît sans cesse en même temps que s’exacerbe la cruauté des traitements. Plus les blancs s’enrichissent, plus leurs mœurs deviennent « délicates », se civilisent, plus s’affine, se raffine leur inhumanité. Dans le Voyage à l’Isle de France, livre figurant alors en toutes les bibliothèques coloniales, Bernardin de Saint-Pierre détaille l’horrible sort qu’on infligeait aux esclaves : ces pages émues et indignées étaient bien faites pour arrêter plus longuement l’attention de

  1. « Le temps et les conseils, dit-il, pour apaiser l’oncle irascible, seul soutien possible de son fils en Bretagne, viendront facilement à bout de son républicanisme. »