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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/220

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de coups de fouets dont la cruauté des colons donnait le spectacle, il pensa élever le noir à la sympathie d’une Europe civilisée en le révélant dans sa vérité passionnelle, dans sa réalité humaine. Ainsi que dans Sacatove, il montra dans Marcie avec quelle force inconsciente, trouble et tenace, le noir aspire à l’amour où se fondent, comme en une vie meilleure, tous ses désirs réfrénés de liberté, à l’amour qui est un affranchissement :


Au mois de juillet 1780, nous retrouvons le marquis, vers les 6 heures du matin, assis sur une large varangue, dans son habitation du Bernica, et fumant une large pipe à godet d’argent. C’était un homme de 56 à 60 ans, d’une haute taille, brûlé par le soleil, et revêtu d’une large robe de chambre à ramages, de pantalons à pied et d’un chapeau de paille de dattes tressée à la manière des noirs. Il portait ses cheveux encore bruns, sans poudre ni queue. Ses traits grands et nobles avaient une expression bienveillante qui attirait tout d’abord. En face, debout devant lui, dans une attitude de respect et de confiance, un noir semblait attendre que son maître l’interrogeât. Cet esclave n’avait rien des signes de dégradation dont sa race est frappée. Le front était haut, ses traits énergiques, mais proportionnés, l’œil noir et hardi. On devinait, sous le léger vêtement de toile bleue qui les couvrait, la vigueur et la souplesse des bras et de la poitrine. La couleur de sa peau disait qu’il était né dans la colonie.

Le marquis secoua lentement les cendres de sa pipe en la frappant par petits coups sur le bras de son fauteuil indien, puis il se renversa en arrière, et se mit à regarder le noir de l’air d’un homme qui réfléchit profondément.

— Tu as mal vu, mal entendu, Job, dit-il enfin. C’est égal, tu es un bon noir, tu aimes tes maîtres, et nous