Aller au contenu

Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médiocres, intelligences bornées, esprits dénigreurs ; leurs vanités se complurent à des jalousies et à des calomnies qui révoltaient Leconte de Lisle. Puis, comme Vigny, celui-ci s’indignait de ce que le poète fût écarté de la république, et il en voulut à ceux qui prétendaient monopoliser la direction des affaires et gouverner sans y avoir été préparés par l’initiation au culte fort du Beau. Aussi s’emporte-t-il avec autant de véhémence contre ceux qui s’occupent exclusivement de politique que contre ceux qui, comme Proudhon, veulent tout asservir à leurs théories.

Les théories sont trop circonstancielles, éphémères ; il ne faut leur subordonner les principes ; il ne faut pas qu’elles fassent oublier la grande Évolution à quoi tout doit se rattacher, perdre le sens de la tradition. Si Leconte de Lisle est si irrité contre Proudhon, c’est que celui-ci n’a ni le respect ni le sens de la tradition républicaine, par là infiniment confus et dangereux[1].

  1. Ce sont ses lettres à Louis Ménard qui ont jeté la franche lumière sur sa conduite et sa pensée en 1848-1851, en ont montré la constance, la logicjue et la beauté, annihilant la fausse conception qu’on s’en était faite. Nous n’en donnons que les admirables passages nécessaires à affirmer son caractère, à préciser ses idées, à sérier les faits. Mais elles méritent d’être citées tout entières, dans le volume de Correspondance que ses héritiers devraient éditer et qui contribueraient mieux qu’aucun livre de critique à le faire connaître du public dans sa réalité et sa noble familiarité. Notamment le ton badin de certaines, en allusion à de léçères aventures de ses amis, dénote cette gaieté d’humeur, saine et mordante à belles dents, dont il ne se départit jamais au plus fort des désillusions sociales ou des ennuis personnels ; il y eut toujours chez lui réserve de force ; l’amertume de ses poèmes est pure de tout chagrin égoïste. Dans cette correspondance quelques mots y sont d’une violence extrême, mais il ne faut pas oublier que ce sont des lettres, et écrites au plus sûr dos atnis, au noble et libéral Louis Ménard, poète et socialiste, frère d’armes, frère d’intelligence et frère de cœur avec qui on s’épanche comme en soi-même, pour dégager le trop-plein d’une confiance trompée.