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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/29

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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

Me vit, encore enfant, sur son sein amené ;
J’ai foulé ses vallons aux fleurs fraîches écloses,
Ma bouche a respiré la senteur de ses roses ;
Oh ! son tiède soleil, l’encens de ses malins
Souvent ont caressé mes loisirs enfantins
[1]
De rayons enivrants, et d’amour, et de flamme
El leur image chère est gravée en mon âme.

Je te quitte à jamais, fille de l’océan
Dont l’onde, avec amour, te baigne en souriant.
Bonheur et paix à toi, ma première patrie !
Je quitte les flots bleus à la face polie.
Et les nappes d’azur de tes cieux étoilés,
Et le féerique éclat de les soirs enflammés,
Et les larges récifs, où la lame, dans l’ombre,
Jette, aux échos des monts, son accent long et sombre,
Mais la France, à mes yeux, fait parler l’avenir.
Oh ! ma vie est pour elle !… à toi ! mon souvenir.

La brise a déployé son aile sur la houle,
Au long mât balancé la voile se déroule.
Le navire s’ébranle et son front écumeux
Au rivage attentif fait ses derniers adieux ;
Se berce avec fierté sur la vague qui gronde.
Puis salue avec grâce, en s’inclinant sur l’onde,
Et, redressant soudain ses vastes flancs brunis,
Fend d’un vol d’airain les flots qu’il a blanchis.


On le voit, si l’adolescent quillait sans chagrin le pays natal, il en emportait le souvenir le plus intense, et toute sa vie il aura la religion de ce souvenir. Jusqu’au moment de la mort se dessineront avec netteté au fond de sa mémoire les montagnes divines où errait sa jeunesse rêveuse, il rebaignera

  1. Ou se rappelle certains vers d’André Chénier.