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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/368

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bouleverser, mais elle resta fière, on le voit à cette lettre écrite le jour même, 2 octobre 1870.


Cher Monsieur,

Au milieu de toutes mes misères matérielles, je suis accablé par une nouvelle calamité morale. Mon nom a paru dans les listes des Papiers Impériaux. Vous saviez qu’une allocation mensuelle de 300 francs m’avait été offerte dans le temps pour m’aider à faire mes traductions grecques. Une nécessité sans réplique m’avait contraint de l’accepter, car la pension de Bourbon me manquant et me trouvant chargé de ma mère, qui manquait de tout, je devais choisir entre la vie et la mort des miens. Je me suis sacrifié et m’en voici récompensé par les insultes des journaux. Je vous jure que si les Prussiens pouvaient me tuer, ils me rendraient un suprême service. Je suis si profondément malheureux que je me demande si je ne ferais pas mieux de me brûler la cervelle. Après avoir vécu pauvre, dans la retraite et dans le travail, voici que je n’en recueille que des outrages pour toute récompense. Tout cela est affreux et me jette dans le désespoir.

L’investissement continue ; nous nous attendons toujours à un assaut. Que l’ennemi se hâte donc, car on commence à ne plus pouvoir se procurer de viande ni de légumes. Dans un mois ce sera la famine.

Je suis de garde aux remparts demain au Point-du-Jour. C’est là qu’on attend l’assaut.