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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/419

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d’une félicité constante à laquelle il s’habitue peu à peu comme à un autre bercement maternel, sur laquelle il ne songe pas à méditer, qu’il accepte aveuglément comme un présent dû, qu’il confond avec le bienfait même de la vie pour quoi il nourrit une reconnaissance émerveillée et confuse. Cela, jusqu’aux jours où il lut des poètes, les Orientales : « Je ne puis me rappeler, pour ma part, a-t-il écrit, sans un profond sentiment de reconnaissance, l’impression soudaine que je ressentis, tout jeune encore, quand ce livre me fut donné, quand j’eus cette vision d’un monde plein de lumière, quand j’admirai cette richesse d’images si neuves et si hardies, ce mouvement lyrique irrésistible, cette langue précise et sonore. Ce fut comme une immense et brusque clarté illuminant la mer, les montagnes, les bois, la nature de mon pays, dont jusqu’alors je n’avais entrevu la beauté et le charme étrange que dans les sensations confuses et inconscientes de l’adolescence. » Ainsi son cerveau connut l’exaltation nécessaire. Cette lecture avait déterminé en lui un état d’ivresse poétique où la réalité extérieure, sous la lumière intérieure, prit soudainun relief éclatant et dentelé, un sens esthétique nouveau. La naïveté lyrique étant la plus communicative, l’enthousiasme d’un occidental pour un Orient imaginaire le toucha au point que la réalité de cet Orient qui lui était familier acquit une valeur de surprise et de découverte. À la révélation hugolienne vint s’ajouter la révélation des voyages. En 1837, il quitta Bourbon avec regrets :