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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/418

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fleurs, de lumière et d’azur. Ce n’était pas le paradis terrestre, mais peu s’en fallait, car les anges le visitaient parfois. L’océan l’environnait de ses mille houles murmurantes, et de hautes montagnes y mêlaient la neige éternelle de leurs cimes aux rayons toujours brûlants du ciel. Or, je vivais, si je ne croyais vivre, dans un des doux recoins de ce pays. Je n’admirais rien, avec le pressentiment sans doute que l’admiration m’eût rendu fou ; mais, en revanche, j’aimais instinctivement tout ce qui m’ apparaissait, le ciel, la terre, la mer et les hommes.

… Je me rendais un dimanche matin à l’église, en suivant le bord d’une large chaussée plantée de tamarins et de bois-noirs à touffes blanches. Des groupes de dames et de jeunes filles passaient à mes côtés, avec celles de leurs caméristes noires qui portaient leurs livres et leurs éventails de plumes ; et tout ce cortège vert, blanc, rose et bleu, ondulait autour de moi, sans que j’y prisse garde. Il me serait difficile de préciser les véritables causes de mes distractions ; mais si l’on était désireux de les apprécier, c’était peut-être que deux sénégalis entrelaçaient sur les palmes voisines la cendre nacrée de leurs ailes, ou qu’une de ces larges araignées écarlates et noires qui tendent leur fil d’argent d’un tamarin à l’autre, se laissait bercer au soleil du matin par la brise de mer comme un gros rubis jaspé de jais — ou bien que la brume des montagnes, que la chaleur n’avait pas encore absorbée, flottait comme un voile de gaze brochée d’or sur les dentelures aériennes des mornes — mais peut-être aussi était-ce que je ne pensais à rien et que je marchais sans voir.


C’était donc une adoration immense, mais inanalysée, la plus généreuse des jouissances animales : il est à cet âge où la nature enveloppe l’être jeune