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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/430

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La vision s’ouvre dans la sérénité, puis l’esprit s’exalte, une sensibilité trop contenue s’épanche, tout l’être se tend selon un geste d’extase spontanée qui le ravit à lui-même. Ainsi procède toujours l’émotion de Leconte de Lisle à peindre le pays de sa jeunesse.

Il n’est plus impersonnel quand il a commencé à décrire son pays. Et quelque effort qu’il fasse pour dérouler avec sérénité ses évocations, il ne peut taire le grondant regret de l’Éden perdu…


Salut ! ô douce paix, et, vous, pures haleines,
Et vous qui descendiez du ciel et des rameaux,
Repos du cœur, oubli de la joie et des peines !
Salut ! ô sanctuaire interdit à mes maux !…


L’adolescent à Rennes aimait l’île pour avoir ébloui à jamais de beauté pure son âme d’enfant : l’homme la bénit maintenant pour avoir comblé de sérénité un cœur malade, pour avoir apaisé les tristesses infécondes, pour avoir sauvé en lui l’homme comme jadis elle avait extasié l’enfant : il a été « créé » par son pays à toutes les époques de sa vie.

Mais le souvenir du pays n’est pas à l’état d’obsession. Ce n’est point d’un sentimental nostalgique. La mémoire qu’il garde de son île est celle d’une mâle sensibilité. De même son souvenir n’a pas cette constance, cette fidélité immuable qui ressemble à une foi profondément assise et monotone, cette fidélité que la mémoire du Breton voue à sa patrie.

Il fut une époque où il connut une misère plus âpre, dut s’activer à la lutte, faire plus dure son