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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/431

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âme, époque où il célébra le bienfait de la mort, mais en même temps avouait la force inéluctable des passions, des désirs éternellement acharnés après riiomme. Alors furent composés les plus lamentables peut-être de ses poèmes : les Damnés, Requies, l’Anathème, les Oiseaux de proie. L’âme s’élançait donc à l’anéantissement, puis, tournée par la meute des désirs et des passions, était rejetée à l’existence contemporaine. Que devenait alors le passé ? Il s’abolissait peu à peu à l’horizon, s’effaçait en ce « passé confus » dont il est parlé à la fin des Hurleurs : il s’évanouissait de l’âme pour que les visions du présent et surtout de l’avenir l’emplissent complètement. C’est alors que le poète, dans son angoisse, évoque une aurore de son pays, son pays même : l’évocation s’effectue mais le cœur n’en crie pas moins son aveu douloureux :


Ô jeunesse sacrée, irréparable joie,
Félicité perdue, où l’âme en pleurs se noie !
lumière, ô fraîcheur des monts calmes et bleus,
Des coteaux et des bois feuillages onduleux,
Aube d’un jour divin, chant des mers fortunées,
FIorissante vigueur de mes belles années…
Vous vivez, vous chantez, vous palpitez encor.
Saintes réalités, dans vos horizons d’or !
Mais, ô nature, ô ciel, flots sacrés, monts sublimes.
Bois dont les vents amis font murmurer les cimes.
Formes de l’idéal, magnifiques aux yeux.
Vous avez disparu de mon cœur oublieux !
Et voici que, lassé des voluptés amères,
Haletant du désir de mes mille chimères,
Hélas ! j’ai désappris les hymnes d’autrefois,
Et que mes dieux trahis n’entendent plus ma voix.

(L’Aurore, en 1857.)