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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/66

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LECONTE DE LISLE

Heureux qui te garde des ardentes clartés de la vie et te recueille pieusement au plus profond de son cœur ! Les jours heureux passeront pour ne plus revenir ; la femme aimée oubliera le nom de l’amant, le monde emportera dans ses flots au tumulte stérile les débris du premier paradis, la vieillesse glacera le sang des veines et courbera le front vers la tombe… Mais si tu baignes encore le cœur qui a aimé, ô chère larme ! si ta fraîcheur printanière a préservé la fleur divine de l’idéal des atteintes du soleil ; si rien n’a terni ta chaste transparence ! Ô première larme de l’amour, la mort peut venir, tu nous auras baptisés pour la vie éternelle !


Leconte de Lisle a donc un caprice passionné pour Mlle Bestaudig durant les deux ou trois jours qu’il passe au Cap, et c’est encore elle qu’en 1843 il revoyait en décrivant la grâce d’une jeune fille dans une nouvelle dont l’action se passe au Cap en 1837.


Une jeune fille s’accouda lentement sur le rebord de la fenêtre, et jeta au dehors un long regard chargé de lassitude et de tristesse. Cette enfant, de 16 ans à peine, avait l’idéale beauté des femmes du Nord, quand elles unissent à la limpidité fluide des yeux, à la transparence de la peau, l’abandon pensif et harmonieux de la démarche et de la pose. Par un heureux et rare caprice de la nature, ses cheveux d’un blond cendré faisaient luire, malgré leur abattement, de grands yeux bruns dont les cils ombraient ses joues pâlies. Celle de ses mains qu’elle avait posée sur la fenêtre était mince et fine, d’une blancheur de neige, et agitée par instants de petits mouvements nerveux. Ainsi accoudée, vêtue de blanc, mollement inclinée et baignée dans l’ombre lumineuse du soir, on eût dit une de ces vierges idéales, si chères aux