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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/67

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LE VOYAGE

poètes allemands. En face d’elle, la baie étendait, sous les reflets rouges du soleil, ses longues houles calmes ; et, par delà les dernières élévations de la côte, l’immensité de l’océan austral se détachait en une ligne d’un bleu sombre. Mais ce large et splendide horizon n’attirait point ses yeux, qui conservaient cette expression vague et flottante propre à qui regarde en soi et semble oublier le monde extérieur.

Il y a toujours quelque chose de gracieux et de touchant dans la tristesse d’une jeune et belle fille ; ce n’est pas le vide glacé du cœur ou de la tête de l’homme, ni la fièvre inquiète qui le pousse aux folles tentatives, à l’accomplissement avorté des actions ou des œuvres ; — c’est un monde de désirs latents qui consument, mais qui n’affaissent point l’âme. Cet idéal indéterminé, cette aspiration vers un bonheur irréalisé tourmente surtout la jeunesse des femmes ; c’est la vie qui veut éclore et qui n’éclôt pas ; souffrance analogue à celle qu’on éprouverait à voir blanchir à l’horizon les premières lueurs du jour, et à pressentir un soleil qui ne se lèvera jamais.

*

Le Cap quitté, le navire relâcha à Sainte-Hélène, roc nu dont l’apparition émergeant des flots lui « fit l’effet d’un grand cercueil[1] ». Ce devait être la dernière distraction de ce voyage épuisant de cent trois jours.


Enfin, nous sommes à Saint-Hélène, et ce n’est pas sans peine, assaillis que nous avons été non par de mauvais temps, mais des calmes interminables ; je ne connais

  1. Cité par Jean Dornis.