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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/68

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LECONTE DE LISLE

rien de plus insipide à la mer que cette uniformité de ciel et d’eau sans qu’une fraîcheur aucune ride la face huileuse des vagues, sur lesquelles le navire se balance légèrement sans bouger de place ; les jours se succèdent et se ressemblent, nous ne savons que faire, tout nous endort et


                                   La voile tendue
Ne demande qu’un souffle à la brise attendue


J’ai vu Sainte-Hélène et le tombeau de l’Empereur. Nous y montâmes le soir, il pleuvait, et tu dois concevoir combien était gai l’inculte rocher où dort le grand capitaine. Vouloir retracer ici ce que j’éprouvai alors ne te rendrait pas ma pensée à fond. Ce furent d’abord la pitié, l’admiration, le respect, car il était affreux de comparer ce qu’il fut à ce qu’il est aujourd’hui, de penser à l’empereur[1] et au pauvre captif des Anglais, et cela sur sa tombe ; mais bientôt je me rappelai le jeune et invincible soldat de notre grande République[1] ; je me représentai le consul demi-despote ; puis enfin l’empereur[1] absolu de ce noble pays qui servit de base à sa gloire ; et alors le respect et la pitié firent place au mépris et à la haine ; c’est le partage des tyrans et Napoléon ne fut aussi qu’un tyran, tyran plus grand que les autres et pour cela même encore plus coupable.


Dans cette lettre, le républicain intransigeant continue de s’affirmer, avec une franche virilité, à l’heure même où la grandiloquence de Hugo s’empanache du populaire napoléonisme. Vibrant à la mémoire de la grande République disparue, il rêve comme à l’attente émue de son retour prochain. « Adieu, écrit-il à l’ami laissé au pays,

  1. a, b et c Souligné par L. de L.