Aller au contenu

Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
LECONTE DE LISLE

cheur d’écume semblable au jusant sur les galets ; cette tour de l’Horloge d’ardoise fine et bleuâtre, clocher pour les hirondelles et les oiseaux qui ont voyagé sur la houle ; ces tours rondes dont le granit serré rappelle la vaillance de Bertrand Duguesclin ; le léger pont gothique où passent de jeunes vierges anglaises comme en des vers de Burns ; il a vu tout cela qu’il imaginait dans un monde noirâtre et crépusculaire parce qu’il rentrait ébloui de la lumière du soleil sur les récifs et sur les vergers opaques et lustrés. En ces villes bretonnes dont le plan est souvent le même que celui des « quartiers » découpés dans la verdure des tropiques, le créole se sent à peine dépaysé ; on lit sur les maisons d’avoués, de notaires ou de pharmaciens des noms de familles créoles ; on entend des noms de navires qu’on a entendu là-bas : le Mandarin, l’Ange Gardien par exemple, le Robert-Surcouf, le Gol ; on pense à La Bourdonnais, à Dupleix, aux Bretons qui s’embarquèrent pour construire des villes françaises aux sables des mers lointaines. Avec ses maisons plus larges de haut que de bas, accostées l’une à l’autre et portant des sculptures coloriées comme des quilles de haut bord, ses fenêtres garnies de géraniums et de tulipes ainsi que des hublots, Dinan est une ville qui rêve sur les voyages louvoyant dans la mer des Indes ; le matin, tandis que dans les rues se répand l’odeur du café des îles qu’on va verser dans le lait crémeux des vaches bretonnes, les paysannes des environs venues pour le marché ont des costumes aussi criards que des malabaraises, etleur caquetage de perruches