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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/89

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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE

Cette aristocratie de la souffrance que sont les poètes se trouve être une classe prolétaire dans une civilisation uniquement et immédiatement utilitaire, dans une société avare et capitaliste qui les condamne comme des « inutiles », quand les poètes devraient être ses ouvriers d’idéal : « Hélas ! nous ne sommes que deux pauvres fabricateurs de vers alexandrins et autres, deux parias, deux inutiles surtout qui n’ont pas seulement 20.000 livres de rentes. Gloire aux utiles ! Honte à vous, honte à moi ! » Mais, comme il est naturellement porté à envisager les questions de façon large et généreuse, ce qui l’afflige dans cette indifférence de la société pour le poète, ce n’est pas tant la méconnaissance même du poète que l’égoïsme des individus seulement préoccupés d’amasser et de s’enrichir, ce n’est pas l’abandon du poète, c’est le manque de fraternité. Il vient de lire un article de Félix Pyat sur la mort d’Hégésippe Moreau, « pauvre jeune homme qui était un noble poète », et il s’emporte :


C’est un bien triste exemple de l’égoïsme de notre siècle où tout ce qui est beau, tout ce qui est noble et grand ne trouve que mépris et dégoûts ; de ce siècle où le parjure politique s’unit impunément à la dépravation morale grossièrement dissimulée sous son voile de pruderie misérable et d’affectation religieuse ; de ce siècle enfin qui ne reconnaît que l’or pour dieu et qui foule aux pieds tout adorateur du vrai et du beau, ne pliant pas le genou devant l’infâme idole et ne sacrifiant pas à la vénalité la pureté intérieure de l’âme. Honte à lui[1]

Au reste, mon ami, à quoi peuvent servir des protes-

  1. Il cite là des vers de « l’énergique Barbier ».