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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/91

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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE

C’est à ce titre qu’il s’élèvera toujours contre les lyriques qui devinrent d’universels découragés à la suite de déboires personnels, sans s’apercevoir lui-même que tout ce pessimisme social qu’il a hérité d’eux n’a d’autre origine que des tristesses d’amour. Oui, il faut avoir le courage de vivre ; c’est faire acte d’amour et de solidarité. Il y a « des devoirs humains ». Lui-même, quand, déjà exilé de sa famille, de son pays, il éprouve dans l’étroite chambre de Rennes son inutilité et comme son exil de poète dans une société bourgeoise, il est tenté de désirer la mort :


Ces hommes dous ont dit : « Vous êtes inutiles,
Au travail de l’argent vos mains sont inhabiles ! »
Le mépris de chacun poursuit notre existence.
Car nous ne savons pas voiler la conscience.
Car vers un but sacré notre esprit emporté
Aime à se dérober l’humaine vanité.
Ah ! pourtant si, moins durs à nos rêves de flamme,
Ils ménageaient enfin les désirs de notre âme,
S’ils étaient indulgents, si d’intimes secours
Nous soulageaient parfois du fardeau de nos jours.
Abandonnant alors nos sentiers solitaires,
Entre nos mains pressant leurs deux mains tutélaires,
Oh ! nous irions, sans doute ensemble et bien heureux,
Vers un large avenir à nous ouvert par eux !…
Mais cet espoir est vain ; la grande intelligence
Leur refusa du cœur l’instinctive puissance ;
Pour eux, l’utilité, c’est asservir le sort
Avec de fausses lois pour gagner beaucoup d’or ;
Valent-ils mieux que nous ? Pourtant un noble élan
Vers la gloire et le bien, dans notre cœur brûlant,
Vit sans cesse ! et des pleurs quand nous sommes la proie,
Nous demandons à Dieu qu’il leur donne la joie
Ah ! puisque nul ne veut comprendre ici nos cris…
Mon Dieu ! rappelle donc tes trop faibles enfants !