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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/197

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LES ÉRINNYES.

Entre, applaudi des Dieux et des hommes, vivant
Et glorieux, sauvé des flots noirs et du vent,
De la foudre de Zeus et des lances guerrières !
Cher homme, qu’ont suivi mes pleurs et mes prières,
Destructeur d’Ilios, rempart des Akhaiens !
Quand, loin de la patrie, ô Chef, et loin des tiens,
Au travers de la plaine où sonnaient les knémides,
Tu poussais sur le mur massif des Priamides
Un tourbillonnement d’hommes et de chevaux,
Solitaire, livrée en pâture à mes maux,
Errant de salle en salle au milieu des ténèbres,
L’oreille ouverte au vol des visions funèbres,
Moi, j’entendais gémir le palais effrayant ;
Et, de l’œil de l’esprit, dans l’ombre clairvoyant,
Je dressais devant moi, majestueuse et lente,
Ta forme blême, ô Roi, ton image sanglante !
Que peut la morne veuve, hélas ! d’un tel mari ?
Et c’est pourquoi ton fils, l’enfant que j’ai nourri,
L’héritier florissant du sceptre et des richesses,
Vit loin d’Argos et loin des embûches traîtresses.
Tu le verras. Les temps sont passés à jamais
Des songes pleins d’horreur où je me consumais,
Et d’une attente aussi qui semblait éternelle.
Voici l’homme ! Voici l’active Sentinelle
Du seuil, celui qui m’est plus doux et plus sacré
Qu’au lointain voyageur ardemment altéré
Le frais jaillissement de l’eau qui le convie !
Viens donc, ô Maître, orgueil d’Hellas et de ma vie,
Et foule fièrement d’un pied victorieux