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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/240

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POÈMES TRAGIQUES.

Tu m’as tout pris, mon nom, mon peuple, mes trésors,
La liberté qui fait la moitié de notre âme !
Oui, pour mieux accomplir l’abominable trame,
Tu m’as vendu, tu m’as, loin du royal berceau,
Dans la fange, ô fureur ! jeté comme un pourceau !
J’ai ployé sous les coups, j’ai sué sous l’outrage,
J’ai troublé l’air du ciel de mes longs cris de rage,
J’ai maudit la lumière, et l’Ombre, et les Dieux sourds,
Et j’ai cent ans, n’ayant vécu que peu de jours !
Mais qu’importe ! Ceci n’est rien. Mes pleurs, ma honte,
Et ta haine, et mes maux dont j’ignore le compte,
Et l’endurcissement à ton cœur familier,
Je te pardonne tout, et veux tout oublier.
Ta tête m’est sacrée en ma propre querelle ;
Mais l’expiation d’un grand crime est sur elle !
Tu mourras pour cela. Les temps sont révolus.


KLYTAIMNESTRA.

On ne peut pas tuer sa mère !


ORESTÈS.

On ne peut pas tuer sa mère ! Tu n’es plus
Ma mère. C’est un Spectre effrayant qui t’accuse
Et qui te juge. Toi, tu te nommes la ruse,
La trahison, le meurtre et l’adultère. Il faut
Que tu meures ! Un Dieu me fait signe d’en haut,
Et mon père, du fond de l’Hadès, me regarde
Fixement, irrité que la vengeance tarde.